Rencontres

Dans le QG de Deliveroo (1/2): « C’est horrible mais plus il fait moche, plus on est heureux! »

11 décembre 2016

Depuis plus d’un an, les cyclistes de Deliveroo fendent l’air du cœur de Bruxelles et gravissent quotidiennement ses quartiers vallonnés. De plus en plus nombreux, armés de leur sac à dos surdimensionnés et les yeux rivés sur leur Smartphone, ils offrent un voyage à votre souper. Ils sont partout! (ou presque). Mais qui sont les autres visages de Deliveroo? Hotpopote a voulu s’intéresser à ceux qui font eux aussi rouler la machine, mais d’une manière moins sportive… Quoi que.  

Hotpopote s’est rendu dans le cœur de la start-up, là où, bien au chaud, on décide de l’avenir du business en rêvant que la pluie tombe et que les commandes grimpent.   

Désormais trop à l’étroit dans son ancien QG, Deliveroo a depuis peu élu domicile dans une grande maison de maître avec vue sur les jardins de l’Abbaye de la Cambre à Ixelles. Depuis la rue, on pourrait penser se trouver à l’entrée d’une école supérieure. Quelques bandes d’étudiants squattent le trottoir et les bancs. Dans quelques instants, ils recevront un K-Way turquoise et fluorescent, on ne s’y trompera plus!

« Le vendredi, on commande partout, on teste tout, c’est l’orgie ! »

Nous sommes les seules filles présentes sur le trottoir… mais à l’intérieur, Laura nous attend. Laura n’est pas cycliste pour Deliveroo. Elle opère en tant que content manager. Ce terme sonne très chic à nos oreilles mais reste plutôt vague. On ne va pas tarder à comprendre.

Il est 14 heures et au rez-de-chaussée, c’est l’effervescence. La fin d’un rouleau de printemps de chez Knees to Chin en main ou un reste d’houmous de chez Beli au coin de la bouche, une trentaine d’adultes loin d’être ridés courent dans les escaliers. Le ventre plein, ils s’engouffrent chacun dans leurs quartiers respectifs.

Deliveroo Bruxelles brussels - HOTPOPOTE

« Une fois par semaine, le vendredi, on commande partout, on teste tout, c’est l’orgie ! », nous prévient Charles Van den Bogaert, qui tente de terminer sa pizza de chez Mamma Roma tout en nous accueillant dans un bureau situé au sommet du bâtiment. Si nous sommes impressionnées par ce remue-ménage, le marketing manager en a vu d’autres. « Là on est 30, mais imaginez-vous à Londres, où ils sont un peu moins de 400 ! De la nourriture gratuite pour tout ce monde qui arrive à la même heure, c’est comme jeter une petite brebis dans un troupeau d’hyènes ! »

« Pendant un mois, on a signé des restaurants, recruté des bikers, traduit le site web… c’était la folie  »

On est loin du compte à Bruxelles, même si Deliveroo ne cesse de croître. Difficile d’imaginer qu’il y a un peu plus d’un an, en juillet 2015, une seule personne avait en main les clés de la start-up pour le plat pays.  C’est Mathieu de Lophem, le « barbu baraqué » que nous avons croisé furtivement dans l’escalier, qui a eu cette lourde mais excitante responsabilité. « Il a utilisé Facebook à mort et il a trouvé trois autres personnes, j’en faisais partie », raconte Charles. « A quatre, pendant un mois, on a signé les restaurants, recruté les bikers, traduit le site web… c’était juste la folie ». Le timing était serré : deux mois plus tard, le site web devait être lancé.

Mais le quatuor n’est pas resté seul très longtemps. « On a ouvert le 14 septembre et entre-temps on était déjà 6 ou 7. En décembre, on était une dizaine. » A l’époque, chacun se devait d’être multifonction. « La journée, on signait des restaurants, le soir, on était au customer service, on répondait aux emails, on était au téléphone », se souvient Charles. « C’était 7 j /7, les week-ends aussi évidemment ».  15 à Pâques, 20 à Noël, 25 en septembre… Aujourd’hui, l’équipe compte une quarantaine de personnes.

Désormais, Deliveroo s’est installé en Flandre, à Anvers et à Gand. « Il y a chaque fois trois personnes sur place. Il faut quelqu’un qui aille voir les restaurants, forcément, et quelqu’un qui gère les cyclistes. Les grandes décisions sont prises à Bruxelles. »

Deliveroo Bruxelles brussels - HOTPOPOTE

« Il faut passer une soirée au customer service… Tu te tires une balle dans la tête ! Ta tête explose ! »

Au customer service, situé un étage plus bas, une équipe de 15 personnes se charge du suivi des emails et des coups de fil des clients de Bruxelles et d’ailleurs, tout en gérant le déroulement des commandes. Ce sont eux qui ont la lourde tâche d’attribuer votre repas à un biker sur la route. Lorsque nous passons notre tête, tout est très silencieux… Au milieu de la grande pièce remplie d’ordinateurs, une seule travailleuse motivée est face à un des écrans, en ligne avec un client. Mais il est 15 heures, « le calme avant la tempête ».

« Il faut passer une soirée avec eux… Tu te tires une balle dans la tête ! Ta tête explose ! », explique Charles. « J’ai une admiration folle pour eux. Au début, je le faisais moi-même, mais au début, on avait peu de commandes… On regardait des films en même temps ! Aujourd’hui, s’il pleut par exemple, brbrbrbvvvvrrrrr, les commandes rentrent et il faut mettre des cyclistes sur tout. C’est un peu comme jouer à un énorme Risk, il faut bouger tes pions (les bikers) à droite, à gauche. »

« On a eu des soirées pitoyables en terme de service »

Et jouer, c’est parfois perdre. Charles ne cache pas que le service n’a pas toujours été exceptionnel chez Deliveroo. « Très honnêtement, on a eu des soirées pitoyables en terme de service. On peut manquer de cyclistes sur la route, en perdre… Un cycliste peut tomber, son téléphone peut glisser, prendre l’eau. Dans d’autres cas, les restos sont full et ne savent pas suivre. Les commandes, c’est à la minute! »

Deliveroo Bruxelles brussels - HOTPOPOTE

« Imagine, tu te plains à Deliveroo et on te nie… Là, tu pètes un câble ! »

Résultat, les clients peuvent parfois être déçus, frustrés, et se plaindre. « L’aubergine sur ma pizza a glissé, elle est partie un peu à droite. J’avais commandé quatre Cocas dont un zéro, un light et un lemon, j’ai reçu deux life et pas mon light… Des gens se plaignent 24/24, il n’y a pas d’heure. Mais il faut gérer ces problèmes-là aussi! », pense Charles. Une fois encore, le customer service entre en action. « Imagine, tu te plains à Deliveroo et on te nie… Là tu pètes un câble ! Plus jamais tu commandes! »

« Les commandes en ligne, c’est totalement dépersonnalisé », observe le marketing manager. « Qui est là pour personnaliser le service ? Les cyclistes et le service après-vente! Si au téléphone tu as quelqu’un qui traite ta demande comme si tu étais dans un simple call-center, ça ne va pas le faire. »

« Ce n’est pas facile tous les soirs mais de temps en temps au customer service, on reçoit des messages online en disant, ‘Les gars, merci d’avoir pris en compte ma plainte et d’avoir géré le problème. C’était peut être la merde mais au moins vous avez rendu le truc positif après' ».

« Il y a beaucoup de râleurs mais c’est normal qu’ils râlent! »

Laura, qui gère les réseaux sociaux de la start-up en Belgique, est aussi habituée à faire face à ce genre de situation. « On est connecté tout le temps! On répond à tout le monde. Il y a beaucoup de râleurs mais c’est normal qu’ils râlent, ils ont faim! »

Elle tente d’être la plus disponible possible, à toute heure. Si elle manque quelque chose, Charles veille au grain. « Laura pourrait parfois être prête à me tuer, mais quand il ya un tweet à 23 heures et ben elle répond au tweet à 23 heures ! »

Sur Twitter, Instagram ou Facebook, elle essaye comme elle peut de résoudre ces petits et grands problèmes de manière informelle. « On reste poli, ça c’est normal, mais on essaye toujours de répondre de manière fun. Ça aussi, les gens n’y sont pas habitués. Et ils sont compréhensifs. Ils se doutent que c’est une logistique hyper difficile à mettre en place et aussi que quand il fait dégueulasse ça sera plus pénible pour les bikers. »

Deliveroo Bruxelles brussels Laura Bayet - HOTPOPOTE

« Je préfère être cycliste pour Deliveroo que flipper des burgers dans un fast-food »

Se faire rincer, ça arrive. Mais pour Charles, il y a pire comme job. « Je préfère être cycliste que flipper des burgers pour une chaîne de fast-food. T’es dehors, tu fais du sport, tu rencontres des gens, t’es payé correctement pour un étudiant. » A Bruxelles, la majorité des bikers ne comptent pas vivre de leurs courses pour Deliveroo. « Est-ce que tu vas en faine une carrière ? Probablement non, soyons honnêtes. Ça reste un job d’étudiant, c’est un job d’appoint. »

Les indépendants, parce qu’il y en a tout de même, payent leur cotisation sociale. « Ça peut être un graphiste qui fait 6 heures de plus pour nous. Tout le monde est assuré, déclaré. Les étudiants passent par la SMart. Tout est propre, net, il n’y a pas de zone grise », insiste encore Charles.

Et ce système permet aussi à Deliveroo de ne pas s’embêter à engager chaque biker. « Imaginez, une start-up qui doit engager 1000 cyclistes? Certains viennent un après-midi puis se disent que ce n’est pas fait pour eux et arrêtent directement. Il n’y a pas d’obligation d’heures à prester, mais on préfère les gens sérieux qui travaillent bien et régulièrement. »

« Le visage de la société, c’est Ludmilla, Mohammed, Jordan qui sont dehors, sur la rue »

Charles et tous les autres membres du QG se rendent bien compte que l’image de Deliveroo, ce sont les cyclistes. « Ils sont importants pour nous. Qui est-ce que les clients et les restos voient tout le temps ? Ce sont les cyclistes, pas nous. Ce n’est pas moi qui sonne à la porte avec un grand sourire. Je suis peut-être le marketing manager avec une horrible moustache mais le visage de la société, ce n’est pas moi. Le visage de la société, c’est Ludmilla, Mohammed, Jordan qui sont dehors, sur la rue. »

Deliveroo Bruxelles brussels - HOTPOPOTE

« On tracke les performances, pas pour sévir mais pour promouvoir »

Pour cette raison, Deliveroo tente de fidéliser ses cyclistes. « On tracke les performances, pas pour sévir mais pour promouvoir », explique Charles. « On veut qu’ils soient dans de bonnes conditions, heureux de travailler chez nous. C’est un job simple, il faut pédaler et savoir dire bonjour et au revoir. Même si c’est un job d’étudiant, on tente que ce soit fun de le faire chez Deliveroo. »

Et l’offre semble avoir beaucoup de succès! Au rez-de-chaussée, c’est l’agitation. Des dizaines de futurs bikers entrent dans le bâtiment et ressortent avec leur équipement flambant neuf. Mariette, elle, gère le stock via son ordinateur. « C’est la driver operation manager », nous explique Laura. « … Ou la petite maman des bikers! » Quelques pas plus loin, la cuisine s’est transformée en salle d’entretien.  

« On se fout des études et de la langue qu’ils parlent, on veut connaître les raisons de leur motivation »

N’est pas biker qui veut. Avant de fouler le sol du QG, les cyclistes ont dû franchir quelques petites étapes de sélection. « Ils s’inscrivent sur Internet et là, il y a un premier filtre », explique Charles. « On se fout des études et de la langue qu’ils parlent, on demande les raisons de leur motivation. Ceux qui passent cette étape sont invités ici à une séance d’info où on leur explique comment ça marche. Ensuite, un par un, ils passent directement à une séance d’entretien. Ça prend trois minutes, on demande ‘Est-ce-que tu fais du sport, est-ce que tu as un vélo, ton téléphone, pourquoi tu es motivé…' »

Deliveroo Bruxelles brussels - HOTPOPOTE

Cela fait, un deuxième rendez-vous est fixé pour leur fournir leur tenue et quelques accessoires indispensables. « Le biker a son propre vélo et son téléphone. Nous, on fournit veste, sac à dos réfrigéré, porte téléphone, batterie externe, lampes pour le vélo. Le matériel pour qu’il soit en sécurité sur la route. »

Les voilà alors dans le système Deliveroo. En ligne, les cyclistes peuvent accéder à un calendrier où ils s’inscrivent selon leurs disponibilités et la demande. « Si on a besoin de 40 bikers à Ixelles, les premiers qui s’inscrivent rouleront », nous explique Charles. « On met un cadre basé sur l’historique des commandes. L’objectif principal est d’avoir assez de biker pour toute la soirée mais pas trop parce que c’est une perte d’argent. »

« C’est horrible à dire mais plus il fait moche, plus on est  heureux! »

Même si la machine semble bien rodée, ce cadre peut être balayé en moins d’une seconde si la pluie vient à tomber. « Mon sourire varie en fonction de la météo! On la checke tous les quarts de secondes ! C’est horrible à dire mais plus il fait moche, plus on est heureux. Et en Belgique on est servis! Quand il fait beau, les gens font des barbecues, vont boire des verres en terrasse, vont chez des amis, à la mer… Un vendredi soir où il pleut, c’est l’hécatombe ! Là, il n’y a pas de limites de cyclistes, tout le monde est la bienvenue parce qu’on sait que ça sera la guerre sur la route. »

Sur le front, l’humeur des cyclistes est certainement inversement proportionnelle à celle du marketing manager. D’autant que pluie, grêle ou grand soleil, les livreurs sont payés de la même façon, « en tout cas pour le moment », explique Charles. « On ne veut pas commencer à jouer à « plus là, moins là ». On veut que tous les cyclistes aient un même revenu correct garanti par heure. Ici, on parle de rémunération, ça doit être objectif, standardisé et clair pour tous le monde. Si on met ce système en place, il faudrait que ça soit automatisé, on se baserait par exemple sur un rapport de l’IRM en tenant compte d’un millilitre d’eau maximum par quartier ».

« Il y a une vraie énergie, tout le monde se donne à fond »

Angleterre, Irlande, France, Allemagne, Pas Bas, Belgique, Italie, Espagne, Chine, Emirats arabes unis, Australie,… Deliveroo grandit à une vitesse phénoménale. Mais jusqu’où peut-on parler de « start-up » quand une entreprise arrive à cette taille? « Pour moi, c’est toujours une start-up. Google se considère comme une start-up ! C’est l’état d’esprit qui compte », pense Charles. « Un dimanche soir où il pleut par exemple, si il y a un problème sur une tablette chez Knees to chin, on discute sur le groupe Whats app pour envoyer quelqu’un… PERSONNE n’a envie d’aller à ce moment-là régler le problème. Pourtant quelqu’un devra y aller. C’est ça qui fait la différence. Ça va très très vite, mais il y a une vraie énergie, tout le monde se donne à fond ».

Dans la seconde partie de notre rencontre, découvrez pourquoi Take Eat Easy semblait inoffensif, alors qu’aujourd’hui Deliveroo rêve de « virer le rouleau compresseur Uber Eats » de Bruxelles. Mais la start-up a aussi une autre bataille importante à mener, « culturelle » celle-là… avec le peuple francophone de Belgique!

Deliveroo Bruxelles brussels - HOTPOPOTE

 

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  • Reply Dans le QG de Deliveroo (2/2): "Avec Take Eat Easy, on pouvait vivre. Uber, on veut les écraser!" - Hotpopote 18 décembre 2016 at 18 h 29 min

    […] Vous avez manqué la première partie de notre visite au QG de Deliveroo? Cliquez ici pour vous y rendre! […]