BEES coop, c’est une fois de plus un rêve imaginé autour d’un verre. Tout le monde a certainement déjà vécu cet instant où on imagine, lors d’une longue soirée entre amis, de grands projets qui changeront le cours de nos vies. On croit que tout est possible, mais la motivation s’évapore avec les effets de l’alcool. Le lendemain, on en sourit et on reprend son train train quotidien… Ce n’est pas ce qu’il s’est passé, pour Quentin et ses copains!
En janvier 2014, il y a bientôt trois ans, l’idée d’un projet coopératif, en lien avec l’alimentation, avec un désir d’accessibilité et de forte démocratie, voit le jour. Si l’idée de base était de créer une épicerie sociale, six mois plus tard, elle évolue vers un supermarché coopératif.
Si c’est possible à New-York depuis 1973, pourquoi pas chez nous, à Bruxelles? Inspirés par leurs visites de plusieurs coopératives à Brooklyn ou encore à Montréal, les initiateurs de BEES prennent bonne note des leçons tirées par ces expériences Outre-Atlantique. Ils reviennent en Belgique, plus motivés que jamais.
Aujourd’hui, deux ans plus tard, Hotpopote a voulu comprendre ce qui se tramait du côté de Schaerbeek. C’est là que le grand projet « BEES coop » est en train de se construire.
« Le BEES labo market, c’est le laboratoire du projet »
Nous avons rendez-vous avec Quentin, un des coordinateurs du projet. Dans un petit garage de la rue Van Hove, il tapote sur un ordinateur portable posé sur une table. Un peu plus loin, quelques étagères en bois accueillent déjà des produits de toutes sortes. Au fond, des seaux d’aliments en vrac terminent de remplir l’espace. « Ici nous sommes dans le BEES labo market, c’est le laboratoire du projet », nous explique Quentin. « Le but est d’ouvrir juste à côté un grand supermarché. »
Ôtez ces images de « supermarchés » qui vous viennent à l’esprit! BEES coop fonctionne sur un modèle bien différent, encore absent à Bruxelles!
« BEES est une coopérative Bruxelloise, Ecologique, Economique et Solidaire », détaille Quentin. Chez BEES, les objectifs sont multiples: donner un accès à l’alimentation durable, changer les comportements, renforcer la cohésion sociale, lutter contre le suremballage, le gaspillage alimentaire…
« Le but est que le projet soit pérenne et autofinancé mais il n’est vraiment pas de faire du profit »
Estampillé comme « coopérative à finalité sociale », le supermarché de BEES s’éloigne encore des modèles de grandes surfaces connus de tous puisqu’ici, « on ne peut pas faire de bénéfices! »
« BEES coop, c’est un projet, une coopérative, une société. Ici, le but est que le projet soit pérenne et autofinancé mais il n’est vraiment pas de faire du profit », souligne Quentin.
Enrico, présent dans le LaboMarket lui aussi, gère l’approvisionnement du magasin avec un groupe de coopérateurs, le « groupe produit ». « Si on fait du bénéfice, on doit le réinvestir dans la coopérative, dans d’autres projets, ou baisser le prix », nous dit-il. « C’est aux coopérateurs de décider! »
« On mise sur des produits de qualité, respectueux de l’homme et de l’environnement »
Depuis quelques heures, des fruits et des légumes bios ont pris leur place, dans des bacs au milieu du labo market. « On vient de commencer les produits frais. C’est assez exceptionnel, ils sont arrivés hier, pour toujours », se réjouit Quentin. « Désormais, on vend aussi du pain, c’est une autre nouveauté! »
Si le Labo Market propose des prix attrayants, ce n’est pas pour mettre de côté la qualité! « Chez BEES, on mise sur des produits respectueux de l’homme et de l’environnement », nous dit Quentin. C’est le « groupe produit » dont fait partie Enrico, qui est en charge de la sélection, en lien avec la charte d’approvisionnement de BEES. Ici, priorité au circuit court, aux produits locaux, de saison, via des petits producteurs ou d’autres coopératives.
Des « supers coopérateurs » pour former les petits nouveaux
Pendant que nous parlons, Gaël vérifie si tout est bien en place pour l’ouverture du Labo Market. « Il est ce qu’on appelle « un super coopérateur », précise Quentin. « Il a reçu une formation il y a trois semaines et va être en charge de gérer les caisses. Aujourd’hui, il va devoir former les coopérateurs qui vont arriver. »
« Bonjouur, je viens pour travailler », annonce une jeune fille en entrant avec un grand sourire qui cache une pointe d’appréhension. Ses yeux font le tour du propriétaire et elle attend les instructions. « Ici chaque membre de la coopérative s’engage à y travailler 3 heures toutes les quatre semaines », explique Quentin.
Il est presque 17 heures 30, le labo market va bientôt aussi ouvrir ses portes aux coopérateurs qui désirent faire leurs emplettes. Chez BEES coop, seul les membres de la coopérative ont accès aux produits du supermarché. Pour faire partie de l’aventure, il faut en priorité y apporter un petit ou grand soutien financier. Chaque membre investit de 100 à 5.000 euros maximum, une étape indispensable pour constituer le capital de la coopérative et monter le projet.
« C’est un truc de dingue la manière dont ça fonctionne! »
Ayant investi dans BEES coop, le membre en est donc propriétaire! Lors des assemblées générales, les coopérateurs peuvent décider des orientations stratégiques de la coopérative.
Chez BEES coop, chacun a donc son mot à dire… Pour le moment, le modèle semble fonctionner et même les initiateurs du projet en restent bouche bée! Toutes les décisions se prennent lors des assemblées générales qui réunissent tous les membres, mais aussi au sein du comité de coordination, composé d’un conseil d’administration et d’un membre de chaque groupe de travail. « C’est un truc de dingue la manière dont ça fonctionne! », lance Quentin, les étoiles dans les yeux.
Aujourd’hui, ils sont plus de 600 à être investis dans la BEES coop. En janvier, Quentin espère que ce nombre aura doublé. « Il y a des économistes, des sociologues, des enseignants, certains ont étudié les sciences politiques, d’autres le tourisme… Moi, j’ai fait les sciences du travail », nous explique-t-il. « On a aussi quelques agronomes. Le projet est co-construit par toutes sortes de profils… Chaque fois qu’on a une question spécifique ou qu’on fait face à une situation particulière, on sait qu’on a une personne qui peut nous aider. Le projet a un capital sympathie hyper important, beaucoup de gens souhaitent donner un coup de main! »
« J’en avais presque les larmes aux yeux »
Il faut dire que la veille de notre visite, une étape importante a été franchie pour BEES coop. « Une assemblée générale a été organisée hier, 200 personnes sont venues, c’était fou de voir tous ces gens qu’on ne connait pas mais qui croient au projet, rassemblés ici. C’était un moment vraiment émouvant, j’en avais presque les larmes aux yeux », nous dit Quentin.
Lors de cette soirée, les membres du comité sociétal ont été élus… Sans se présenter! Car chez BEES, les élections se font sans candidat! Chacun propose des profils en argumentant son choix et le groupe se crée au fur et à mesure, au fil des avis et des nouvelles propositions argumentées, jusqu’à ce que tout le monde se mette d’accord.
Peu à peu, BEES coop se construit. Lors de cette assemblée, le chiffre du retour sur investissement a été validé et voté. « La marge sera de 18% sur tous les produits, et de 18 + 5% pour le vrac », nous apprend Enrico. « Ça restera comme ça… sauf si on se rend compte qu’on fait trop de bénéfices. Dans ce cas, on diminuera ce pourcentage. »
Pour rassembler 200 personnes, il a fallu de la place, et ce n’est pas dans le labo market que ce grand moment aurait pu se vivre! Juste à côté du garage du laboratoire de BEES, se cache un grand chantier, celui du futur supermarché, le vrai!
Quentin nous accompagne. Au mur, des ballons de baudruche de toutes les couleurs sont encore accrochés. Ce souvenir de la soirée de la veille égaye les carrelages blancs et froids du chantier. L’ambiance n’est pas encore aussi conviviale que dans le garage d’à-côté!
« Le labo market permet de bien nous préparer à l’ouverture et de faire patienter les membres! »
« Il y a pas mal de gros œuvre, on doit aussi refaire le toit », nous explique Quentin, dont la voix résonne contre les grands murs de cet immense espace. « Avant, ici, c’était un atelier de boulangerie. Il y a pas mal de place. »
A terme, la superficie de vente de BEES coop sera d’environ 300 mètres carré. « Le chantier débutera mi-novembre et en février, on commencera les travaux d’aménagement. S’il neige tout l’hiver, on prendra du retard, mais idéalement l’ouverture se fera en mai-juin 2017. »
D’ici là, on ne se tourne pas les pouces. « Lorsqu’on ouvrira, on aura une bonne base de coopérateurs formés. Le labo market permet de bien nous préparer à l’ouverture mais aussi de faire patienter les membres! »
« Le but est de pouvoir se passer complètement des autres magasins »
Fruits, légumes, crèmerie, produits d’épicerie, vrac… BEES coop proposera un très large choix de produits frais, mais pas que. « Le but est que nous soyons un « one stop shopping », pardon de l’anglicisme! Il y aura de l’alimentaire mais aussi du non alimentaire », nous dit Quentin. « On souhaite que la personne puisse se passer complètement de la grande-distribution classique. Pour cela, on propose des produits d’hygiène, des produits d’entretien, du papier toilette, du dentifrice,… On aura surement aussi des brosses à dents ou des phares de vélo par exemple, des objets de tous les jours. »
« Chez BEES, on mise sur le circuit court, mais nous n’avons pas non plus que des produits belges », souligne-t-il. « On travaille très bien avec un producteur breton par exemple, qui s’appelle Terra Libra. C’est un grossiste coopératif. Pour nous, ça a de l’importance de travailler avec d’autres coopératives qui partagent nos valeurs. Ca nous permet d’avoir des produits français comme du riz, des lentilles, alors que d’habitude, ces produits viennent de beaucoup plus loin. »
« On n’est pas exclusifs sur le bio! »
BEES mise aussi sur le bio, principalement pour les fruits et légumes. « On n’est pas exclusifs sur le bio », souligne Quentin. « Avant, pour des céréales du matin, on travaillait avec un grossiste bio, mais il venait d’Inde. La France, ce n’est pas hyper loin et leur bio est bien plus certain que l’Indien. Bien-sûr, il ne faut pas tout remettre le question tout le temps, mais il y a parfois des limites à certains bio », pense Quentin. « Et puis, dans certains cas, ça n’a pas de sens… Pour le papier toilette, par exemple, est-ce qu’on veut du bio? C’est plus cher, alors que du papier recyclé, ça fait sens aussi ! » Pour l’instant le BEES coop propose 250-300 références. « A terme, l’idée est d’en avoir 3.000 ! »
Quentin nous invite à monter au second étage. « Ici aussi il y a pas mal de travail. On doit encore isoler le toit et placer de grands velux pour avoir un lieu encore plus éclairé ».
Une cuisine professionnelle et « un espace de vie »
Contrairement au rez-de chaussée, cet étage ne sera pas dédié à la vente. « D’un côté, il y aura une cuisine professionnelle, pour faire tout ce qui est transformation d’invendus, ateliers de cuisine, cours de sensibilisation à l’alimentation durable, et plein de projets différents! », explique Quentin. « Pour les soupes à base de restes, il faudra voir dans quelle mesure on saura rendre l’idée économique sur le long terme, mais si on peut déjà faire une soupe pour le midi avec les produits qui n’ont pas été vendus… ça peut le faire! ».
Une fois de plus, ce sont ces petits chanceux de membres qui en profiteront! Juste en face de l’espace cuisine, ils pourront sentir l’odeur des bons petits plats jusque dans leur « espace de vie ». « Les coopérateurs pourront y tenir de petites réunions, boire du café, être plus tranquilles entre les shifts. L’idée est que les membres puissent avoir un endroit pour se poser », nous dit Quentin.
Une dernière pièce reste à découvrir à l’étage. « Le bureau des membres ». « Ici, ça sera un espace plus administratif. Il servira à la gestion de tout ces coopérateurs qui viennent travailler ».
En regardant dehors, par la fenêtre, Quentin rêve encore à toutes les possibilités qu’offrent le bâtiment. « Un potager sur le toit, ça serait le rêve… A terme, on aimerait pouvoir y faire des choses. » Pour l’instant, retour à la réalité. Avant de penser à faire pousser ses herbes aromatiques, un sacré chantier les attend.
Avant de quitter la rue Van Hove, nous repassons par le Labo Market, qui s’est bien rempli depuis notre arrivée.
« S’il n’y a pas l’implication des coopérateurs, ça ne marche pas »
Enthousiasmée par notre visite du chantier, nous demandons à Enrico si d’autres BEES coop ouvriront un jour leurs portes ailleurs à Bruxelles. Mais une fois de plus, notre vision du « supermarché habituel » nous a rattrapée!
Pour Enrico, la réponse est claire: « Non, on ne veut pas ouvrir d’autres BEES coop à Bruxelles. Il n’est pas question de mettre le logo BEES partout! », dit-il. Et la raison est bien logique.
« C’est un projet qui doit vivre des gens. Si on n’a pas l’implication des coopérateurs, ça ne marche pas ». Pour maintenir le lien avec les membres et le projet, une seule coopérative « BEES » existera. Par contre, si d’autres personnes veulent se lancer dans une aventure similaire, BEES ne demande qu’à les aider! « On est une « open coop »‘, explique Quentin. « Nos outils et notre aide sont disponibles à d’autres initiatives ». De son côté, Enrico a déjà été sollicité: « Je suis Italien et plein de gasap du pays m’appellent pour créer des coopératives chez eux! », dit-il.
De nombreux membres arrivent au Labo Market. Les lieux commencent à devenir exigus, mais Quentin nous propose gentiment de faire un dernier tour des rayons pour ne pas repartir les mains vides.
Certains sont peut-être pressés, mais ici, on est pas à la caisse du GB!
Nous nous dirigeons vers la « caisse » du magasin, où la file s’allonge. Assise à la table de l’entrée, une dame âgée fronce les sourcils face à son écran, tout en souriant. Aujourd’hui, elle est en formation et semble encore avoir quelques difficultés à maîtriser le logiciel d’encodage.
Les minutes passent, la file ne se résorbe pas, mais personne ne se pousse, personne ne bronche…. Certains sont peut-être pressés, mais ici, on est pas à la caisse du GB! Un jour ou l’autre, chaque client qui patiente prendra la place de la caissière et qui sait, lui aussi éprouvera peut-être quelques difficultés.
Lorsque vient notre tour de payer, nous n’arrangeons pas la situation, puisque nous ne faisons pas partie de la coopérative! Mais notre caissière en herbe reste concentrée, essaye de s’en sortir seule et réfléchit à haute voix: « Alors, où est-ce que je dois cliquer? Là? Ah non, oups, non ce n’est pas ca! » Heureusement, elle est bien entourée, un « super coopérateur » arrive à la rescousse. En trois clics, il lui montre comment s’y prendre.
Un peu gênées face aux membres de la coopérative, nous repartons simplement avec un shampoing 100% naturel et 1 kilo de farine! Difficile de se retenir de ne pas tout dévaliser…
Mais on n’a pas dit notre dernier mot! Trop de choses trépidantes se passent ici! Elise aussi, a décidé de se joindre à l’aventure. Si l’initiative vous emballe, vous aussi, inscrivez-vous ici pour assister à une séance d’information afin de devenir coopérateur. Pour les frileux ou les curieux, restez dans le coin car une fois infiltré dans ce formidable supermarché, on aura encore des choses à partager!
BEES coop
Rue Van Hove 19, 1030 Schaerbeek
BEES-coop.be
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