Rencontres

Dans le QG de Deliveroo (2/2): « Avec Take Eat Easy, on pouvait co-habiter. Uber, c’est un rouleau compresseur! »

18 décembre 2016

Si comme nous, vous vous rendez au quartier général de Deliveroo à Bruxelles, ne vous fiez pas aux porte-vélos « Take Eat Easy » devant la porte. Ici, c’est bien une entreprise made in England qui grandit. La start-up belge, elle, n’existe plus à Bruxelles ni ailleurs. Mais le répit a été de courte durée pour Deliveroo. Un nom beaucoup plus effrayant vient de s’inscrire sur le bâtiment qui hébergeait auparavant Take Eat Easy: celui de Uber Eats. 

« Depuis le début, nous n’avons jamais voulu prendre des parts de marché à Take Eat Easy, on voulait gagner des clients de notre côté », soutient Charles Van den Bogaert, le marketing manager de Deliveroo à Bruxelles. « L’hiver passé, on sait que grâce à nous – parce qu’on parlait des services de livraison dans la presse – Take Eat Easy a fait plus de commandes. Leurs volumes ne se sont probablement jamais aussi bien portés que depuis notre arrivée! »

« Notre plus gros frein, ce n’était pas la présence de Take Eat Easy »

Si Take Eat Easy est désormais de l’histoire ancienne à Bruxelles, pour Charles, Deliveroo n’est pas la cause de ce triste sort. « Le souci c’est que financièrement, structurellement et logistiquement, ils étaient organisés différemment. La croissance les a sapés financièrement. » La co-habitation avec la start-up belge, déjà présente à l’arrivée de Deliveroo en septembre 2015, ne semble pas avoir été le problème le plus préoccupant lors de leur débarquement. « Non, notre plus gros frein, c’est que les gens n’utilisaient pas encore assez ce genre service, pas autre chose », explique Charles.

Deliveroo Bruxelles brussels - HOTPOPOTE

Les francophones de Belgique, ces technophobes

Après Bruxelles, Deliveroo s’est installé à Gand et à Anvers en Belgique. Si les deux villes flamandes « cartonnent très bien », le kangourou ne semble pas si pressé que ça d’aller explorer le sud du pays. Hormis la topographie moins accueillante pour les cyclistes, le francophone de Belgique semble être un peuple sensiblement moins enclin à dégainer son smartphone pour commander à manger. Surtout quand on le compare avec nos compatriotes néerlandophones… et le reste du monde.

« On l’a très bien vu venir », se souvient Charles. « Si on compare le lancement de Bruxelles à celui d’Anvers, honnêtement, les Anversois, ils ont CLAC (claquement de doigt)… Ils comprennent quoi. Les restos ont compris, les clients ont compris. Les cyclistes ont compris. Il y a moins de problèmes, ça va plus vite ».

« C’est un gros travail d’éducation des gens »

« C’est vraiment culturel. Par rapport à la France ou l’Angleterre, le gros du boulot consiste à éduquer le consommateur en Belgique francophone. Les gens n’ont pas l’habitude de commander sur leur téléphone et de payer en ligne avec carte de crédit ou PayPal. Tout le monde veut du cash en main mais chez nous ça ne fonctionne pas comme ça », explique le marketing manager

Laura, qui gère l’image de Deliveroo via les réseaux sociaux, ajoute, confiante: « Nos clients principaux sont les gens de notre âge, les gens connectés… mais ça commence à changer ».

Ludovic, un stagiaire en marketing qui nous entend discuter, est du même avis. « Un jour, lors d’un événement, une dame de 60 ans m’a demandé qui on était, elle m’a dit ‘c’est quoi ? Je vous vois partout !’. Après, elle a noté sur un bout de papier la marche à suivre pour commander depuis son ordinateur. Elle n’avait pas de Smartphone mais elle y est certainement arrivé, c’est pas compliqué! »

Deliveroo Bruxelles brussels - HOTPOPOTE

« Personne ne fait un choix entre commander sur Deliveroo ou aller au restaurant »

Du côté des restaurants, « ce n’est que du business en plus », dit Charles. « Personne ne fait un choix entre commander sur Deliveroo ou aller manger à l’extérieur Ce sont deux façons de consommer et deux moments différents ». Malgré tout, il a fallu convaincre les restaurateurs.

« Il y a un an, personne ne nous appelait, c’est clair. C’était un travail pro actif. » Pendant un mois, le marketing manager s’est « amusé » à alimenter un fichier où il ajoutait les centaines de restaurants de Bruxelles en leur attribuant des étoiles. « Dans notre algorithme, on peut rentrer les cotes de TripAdvisor, Yelp, Resto.be… C’est donc un mélange de reviews online, mais aussi de tests faits par nous-mêmes et de gestion de réputation. Avec ce résultat, on essaye vraiment que toutes les cuisines soient disponibles pour chaque client dans chaque quartier. »

« Par contre, nous, on est très clairs, on a toujours voulu viser la qualité », tient à souligner Charles. « Et qualité ne veut pas dire prix élevé. C’est sûr, il y a des noms qu’on veut sur notre plateforme car ils attirent des clients, ils nous donnent une visibilité et une qualité assurée. Nous travaillons aussi avec des étoilés Michelin. Mais la meilleure pizzeria du quartier peut aussi provenir d’un petit italien que personne ne connait, qui n’a pas de like sur Facebook, ça n’a pas d’importance! La nourriture est bonne, on peut le signer parce qu’on sait qu’il livrera un produit de qualité. »

« On ne livre pas plus loin que 2,5 kilomètres, ça fait partie inhérente de notre business »

Depuis son arrivée, Deliveroo se limite à livrer dans un rayon de 2,5 kilomètres autour des restaurants. « Ça fait partie inhérente de notre business, on ne livre pas plus loin pour la qualité, la chaleur, la présentation du plat et pour que le cycliste fasse plus de livraison. Un cycliste qui pédale toute la soirée 6 kilomètres pour chaque commande, il se fatigue et il perd du temps! »

« Quand on a ouvert à Bruxelles, Take Eat Easy livrait jusqu’à 5 kilomètres environ », se souvient Charles. « Au fur et à mesure qu’on se développait, ils ont réduit les zones parce qu’ils se sont rendu compte que le mécanisme qu’on utilisait était sans doute plus efficace ». 

Si certains espèrent qu’avec sa croissance, Deliveroo pourra livrer dans plus de communes ou dans un plus large périmètre autour des restaurants, ils peuvent tout de suite cesser de rêver. A Gand et Anvers, Deliveroo quadrille déjà tout le périmètre de la ville, mais à Bruxelles, une fois de plus, le cas est différent.

« Le problème à Bruxelles, c’est que les restaurants sont concentrés dans certains quartiers »

« Evidemment, on veut être dans un maximum de communes à Bruxelles. En Flandre, on a chaque fois ouvert le service d’un coup sur tout le territoire des deux villes.  Le problème à Bruxelles, c’est que les restaurants sont concentrés dans certains quartiers. Un large périmètre, c’est important pour accéder à beaucoup de restaurants… Mais s’il y a dix pizzerias dans le même quartier, on ne va pas toutes les prendre, ça sert à rien », explique Charles. « On va prendre les 3 ou 4 sympas. Une un peu plus chère, une très typique italienne, l’autre un peu plus moderne par exemple. Il faut une offre pour toutes les bourses et pour tous les goûts. Le vrai Italien aura des goûts différents que ceux d’un Belge, chacun a ses préférences, donc à nous d’offrir ce choix. »

Deliveroo Bruxelles brussels Charles Van den Bogaert - HOTPOPOTE

« Avec Take Eat Easy, on pouvait co-habiter, Uber ce sera probablement une autre histoire »

Deliveroo n’a pas eu le temps d’avoir peur de Take Eat Easy. Mais avec Uber Eats, on joue dans une autre catégorie.

« Uber Eats c’est une énorme machine, c’est un rouleau compresseur américain. Ils sont dans plusieurs marchés, ils ont des milliards sur un compte en banque et ce n’est qu’une partie de leur business. Avec Take Eat Easy, on pouvait très bien cohabiter, on était deux jeunes start-ups en Belgique. Mais ici, c’est un autre niveau », observe le marketing manager. « Est-ce que ça nous rend plus alertes ? Est-ce que ça nous donne plus de niaque? Encore plus ! Un par un dans le monde, on va défendre nos villes! »

Pour le marketing manager, Uber Eats « n’apporte aucun avantage par rapport à Deliveroo« . « A Bruxelles, certaines initiatives comme Kamoon (qui prépare et livre trois plats différents par jour) complètent la concurrence. Mais Uber Eats, c’est un concurrent direct. Ils ont signé beaucoup de restaurants qui se trouvaient déjà sur notre plateforme… »

« Mais en même temps c’est la concurrence. La Belgique est un pays libre », admet Charles. « Est-ce que ça nous embête qu’Uber soit à Bruxelles ? Evidemment ! Mais ça nous motive surtout à être meilleurs pour que le client finisse par nous choisir nous. Je ne veux pas un monopole, ça ne sert à rien. Mais je veux un monopole de qualité avec la clientèle. »

Pour arriver à ce but, Deliveroo brandit deux armes, qu’ils espèrent efficaces sur le long terme: la qualité du service et la qualité des restaurants proposés.

« On ne déviera jamais de ce leitmotiv: la qualité du service, de la livraison et de la plateforme »

« Les gens essayent les deux services mais je pense qu’à terme, tout le monde revient chez nous. Ils savent que le timing est respecté et inchangé tout au long de la livraison », explique Charles.

« Notre customer service est également très élevé », ajoute Laura. « Ici, il y a vraiment un suivi. En cas de problème, le client est rappelé ensuite pour savoir si tout s’est bien passé. Si il y a un souci, il est géré par l’équipe bruxelloise, qui envoie ensuite une offre pour la prochaine fois par exemple ».

« Les clients savent également que la qualité est toujours constante », ajoute-t-elle. « Ça aussi, ça nous différencie. On ne signe pas n’importe qui, n’importe quoi. »

« Nous, on ne déviera jamais de ce leitmotiv: la qualité du service, de la livraison, de la plateforme. Est-ce qu’on a un million de choses à corriger ? Oui ! Mais c’est notre goal et on se bat tous les jours pour y parvenir! »

Deliveroo Bruxelles brussels biker - HOTPOPOTE Deliveroo Bruxelles brussels biker - HOTPOPOTE Deliveroo Bruxelles brussels biker - HOTPOPOTE

L’avenir dira vers qui les clients se dirigeront. Pour l’instant, la différence la plus visible est à nouveau représentée par les livreurs. Si Deliveroo ne roule qu’à vélo, Uber Eats se déplace aussi en moto… Et livre jusqu’à 5 kilomètres autour des restaurants.

« On n’est pas braqués, on n’est pas anti-scooters! »

Quand Deliveroo s’est lancé à Bruxelles, Take eat easy effectuait déjà ses livraisons uniquement à vélo. Deliveroo a suivi.  « Ils avaient mis un standard qu’on voulait respecter. On s’est dit que les Bruxellois apprécieraient. »

Ils ne croient pas si bien dire. Chez Hotpopote, (même si ces livreurs satanés livreurs parviennent toujours à rouler plus vite que nous!), on apprécie de voir des plats livrés à l’énergie humaine. Pourtant, Deliveroo ne fait pas uniquement ce geste pour l’environnement.

« Le vélo, c’est un choix économico écolo ! « D’un point de vue économique, on fera 100% à vélo jusqu’à ce que ça nous freine dans notre croissance. Si un jour on se dit ‘ce problème peut être réglé en ayant des scooters’, alors on en utilisera. On n’est pas braqués, on n’est pas anti-scooters! Certaines villes en Belgique sont encore plus vallonnées que Bruxelles. Dans ces villes là, on en utilisera probablement. »

Pour l’instant, la Belgique est donc une exception pour Deliveroo. Dans toutes les villes sauf chez nous, la start-up livre à vélo et en scooter. « A Londres, c’est 80% de scooter et 20 % de vélo. Chaque fois, c’est une réponse pratique à un problème pratique », nous explique Charles. « A Paris, dans le quartier des affaires de La Défense, les vélos et les scooters sont interdits. Du coup, les livreurs sont à pied, ou en trottinette! A Hong Kong, le problème n’est pas de trouver un resto proche mais d’arriver au 64e étage d’une tour. Là bas, il y a des vélos, des scooters, mais aussi des runners, des cyclistes payés pour aller au resto du quartier et pour monter dans les tours! A Dubaï, il fait 45 degrés en été, le cycliste brûle sur place! Ils ont donc un kit réfrigéré sur le scooter. »

La nouvelle bataille du petit-déjeuner 

Depuis quelques jours, l’équipe met les bouchées doubles puisque désormais, Deliveroo livre aussi les petits-déjeuners. Si le service était accessible de 11 heures 30 à 22 heures 30, vous pouvez désormais commander dès 8 heures du matin en semaine et  9 heures le week-end.

« Par rapport à d’autres pays, le Belge a l’habitude de prendre son petit déjeuner à la maison, c’est pour ça qu’il n’y a pas de Starbucks tous les 100 mètres comme à Londres ou New-York. Chez nous, il y a une forte demande des bureaux. Ils veulent des plateaux pour leurs réunions par exemple. »

Une fois de plus, pour séduire les Bruxellois et les Belges, Deliveroo aura « une bataille culturelle à faire ». Reste à savoir ce que la concurrence connue ou inconnue à l’heure actuelle prépare ais la start-up grandit vite et ne semble pas manquer d’idées et d’énergie Le kangourou de Deliveroo a lui aussi encore bien des projets dans la poche!

Vous avez manqué la première partie de notre visite au QG de Deliveroo? Cliquez ici pour vous y rendre!

Deliveroo en chiffres

A Bruxelles, Deliveroo a dépassé la barre des 400 restaurants. En comptant Anvers et Gand, ce nombre s’élève à 600.

2.000 cyclistes sont inscrits dans toute la Belgique et 150 bikers sont recrutés chaque semaine pour rouler aux couleurs de Deliveroo. 

15% d’entre eux seulement sont des filles.

800: c’est la moyenne de cyclistes actifs en Belgique, dont 2/3 uniquement à Bruxelles.

Deliveroo est présent dans 12 pays et 150 villes.

La start-up a levé 500 millions de dollars depuis sa création.

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1 Comment

  • Reply Dans le QG de Deliveroo (1/2): "C'est horrible mais plus il fait moche, plus on est heureux!" - Hotpopote 18 décembre 2016 at 18 h 30 min

    […] Dans la seconde partie de notre rencontre, découvrez pourquoi Take Eat Easy semblait inoffensif, alors qu’aujourd’hui Deliveroo rêve de « virer le rouleau compresseur Uber Eats » de Bruxelles. Mais la start-up a aussi une autre bataille importante à mener, « culturelle » celle-là… avec le peuple francophone de Belgique! […]

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