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Little Food va vous faire manger du grillon… et vous allez aimer ça!

15 mai 2016

CRRRI CRRRI CRRRI CRRRI CRRRI vous entendez ce bruit? Celui des grillons? (Un peu d’indulgence, selon Wikipédia c’est bien l’onomatopée à utiliser). Vous pensez à quoi, là tout de suite? A la Provence, au soleil, à la chaleur et les vacances? Mais qu’est-ce que vous diriez d’une petite boulette de ces insectes pour accompagner votre verre de Pastis sur la terrasse?

Ça ne vous tente pas plus que ça, un petit insecte à l’apéro? Il paraît pourtant que c’est l’avenir… Depuis quelques années, ils se font doucement mais sûrement une place de choix dans les rayons de nos épiceries et supermarchés.

On commence d’ailleurs à connaître le topo… « C’est plein de protéines », mais encore? C’est rigolo, insolite, probablement un brin écologique mais au-delà de ça, quel goût ça a? Est-ce qu’on va vraiment tous devoir passer par la case insectes sans plus jamais s’arrêter à celle du gros steak?

Poussées par notre curiosité et notre goût pour les idées innovantes et durables à Bruxelles, nous nous sommes rendues Romane et moi chez Little Food à Forest. Maïté, la co-fondatrice, a parcouru avec nous l’élevage avant de nous faire passer à la dégustation.

 

Le seul élevage de grillons de Belgique

Première chose à faire en passant la porte: se déshabiller! Il fait ici minimum 25 degrés et l’objectif de l’appareil photo de Romane souffre de l’humidité. Pas de doute, nous sommes bien arrivées au cœur du seul élevage de grillons de Belgique. Et si le bruit n’arrive pas à nous en convaincre, il suffit de baisser les yeux pour rencontrer un ou deux évadés sur nos pieds.

« C’est normal » nous rassure Maïté. Ils ne sont que quelques-uns mais ça n’a pas toujours été le cas. « Au tout début, ils passaient par le plafond », se souvient-elle. « On a eu quelques problèmes, ils allaient jusqu’aux bureaux du dessus! » Désormais, les cages sont mieux isolées, même s’il est évident qu’une bête de moins de deux centimètres peut facilement vous échapper.

Maïté et son équipier Raphaël ont créé la production de Little Food en 2013. Au fil des années, il y a bien des choses que le duo a dû rectifier ou expérimenter pour avancer. Comme souvent, c’est lors d’une soirée (arrosée) que les deux ingénieurs agronomes fraîchement diplômés ont eu cette idée.

Little food insectes comestibles Bruxelles - HOTPOPOTE

 

« On s’est tapé la main en disant ‘Allez, on le fait!' »

« A la base, on était deux, Raph et moi. L’idée nous est venue en 2012, entre potes », nous raconte Maïté. A la fin de nos études on s’est dit tiens, on ferait bien un truc sympa. On a parlé de ça et à un nouvel an, on s’est tapé la main en disant « Allez, on le fait! ».

En 2013, le duo a commencé à faire principalement de la sensibilisation et des dégustations organisées dans les musées. Maïté a également suivi une formation entrepreneuriale et enfin, Little Food a pu véritablement construire un élevage. Mais la chose n’était pas aussi simple que sur papier! « Après notre formation en bio ingénieur on s’est dit « ok, on a vu comment ça marche, easy game… Mais pas du tout », se souvient Maïté. « C’était très compliqué de trouver la bonne température, le bon degré d’humidité, la bonne race à élever ».

Et c’est dans une chambre de leur colocation que les premiers grillons ont vu le jour. « A l’époque, on habitait chacun en couple dans un appartement assez grand. On a donc dédié une chambre pour commencer l’élevage… Il y a eu des échappés », avoue Maïté, qui a dû s’habituer à vivre quotidiennement avec les grillons.

 

« Au début, je hurlais à chaque fois! »

« Je suis un peu une petite citadine… J’aimais bien l’idée, mais quand on a eu les insectes chez nous, que je devais mettre la main dans les cages, je hurlais à chaque fois! » Mais Maïté a fini par s’habituer. Aujourd’hui, elle ne porte aucun jugement sur ceux qui ont quelques réticences à voir un insecte dans leur assiette, puisqu’elle est aussi passée par là!

Little Food produit en moyenne 60 à 80 kilos de grillons chaque mois. Plus de 200.000 petites bêtes sont ainsi produites mensuellement pour être consommées.

Et la demande est bien là. « Ici, on est en flux tendu tout le temps. On vend vraiment tout ce qu’on a », explique Maïté. A l’heure actuelle, Little Food vend sa production dans des magasins bio, des épiceries fines, et même des supermarchés Carrefour, sous forme de grillons séchés.

Bientôt, Maïté espère pouvoir vendre des grillons frais et d’autres versions qu’elle garde secrètes pour l’instant.

Little food insectes comestibles Bruxelles - HOTPOPOTE

 

« Le grillon ne doit pas être présenté comme un produit d’exception »

Une chose est certaine, Little Food ne produira pas de grillons en poudre. « Nous ne voulons pas vendre ce genre de produit », explique Maïté. « Le coût de fabrication n’est pas élevé, mais 7 kilos de grillons sont nécessaires pour produire un kilo de poudre ».

Little Food pourrait commercialiser ce produit, mais son prix serait élevé et ne rejoindrait pas leur démarche de produire une protéine accessible à tous. « Pour l’instant, l’insecte reste un produit cher nous ne voulons pas nous inscrire dans la démarche du ‘produit d’exception’… Ce n’en est pas un ! C’est pas comme de la truffe », souligne-t-elle. « Pour l’instant, la rareté justifie le prix mais à long terme, pour Little Food en tout cas, le but est de proposer quelque chose d’accessible et de vert. »

 

Vers une production mensuelle de trois tonnes de grillons

Pour faire diminuer ce prix, Little Food va prochainement déménager sa production de Forest jusqu’aux rives du canal. Un espace plus grand permettra à Maïté et son équipe de faire une économie d’échelle et par conséquent, de baisser le prix au kilo.

Et c’est dans un lieu de choix que les grillons de Little Food vont déménager. La petite entreprise aura probablement bientôt ses quartiers chez Green Bizz, un tout nouveau pôle d’accueil d’entreprises et start-ups qui visent le développement durable ou encore l’économie circulaire. « Ça va être beaucoup plus grand », se réjouit Maïté, qui a hâte de s’installer dans son nouveau 80 mètres carré. « Alors qu’on produit 60 à 80 kilos par mois ici, chez Green Bizz, on vise les trois tonnes! Bien sûr, on en va pas arriver tout de suite à ce chiffre, mais c’est notre objectif. »

Little food insectes comestibles Bruxelles - HOTPOPOTE

Tout est bon dans le grillon

Il faut dire que le grillon a tout pour plaire. Et un des domaines dans lequel il fait mieux que tous ces autres concurrents fournisseurs de protéines, c’est le ratio de conversion.

Tableau à l’appui, Maïté nous soumet des chiffres de comparaison impressionnants. « Pour 10 kilos de nourriture donnée à un bœuf, on ne va produire que 0.9 grammes de viande. Alors que pour le grillon, on va produire 2 kilos! Son ratio de conversion est donc de 85 %, alors que pour le bœuf, il n’est que de 8,3%! »

Maïté a des dizaines d’autres arguments sous le coude: « Quand on élève un bœuf pour le manger, tout n’est pas consommable, seulement 55% de l’animal va servir à nourrir. »

Même le cochon aussi peut aller se rhabiller. 70% de cette production pourra être consommée, tandis que le grillon, lui, sera mangé dans son intégralité.

De plus, la culture du grillon a un impact direct sur nos ressources naturelles. Pour produire la même quantité de protéines qu’un bœuf, le grillon nécessite 300 fois moins d’eau, produit 60 fois moins de gaz à effet de serre et a besoin de nettement moins d’espace grâce à « l’élevage vertical ».

 

Un produit local

« A la base, on mange des insectes depuis des millénaires mais on les élève seulement depuis 10 ans. En Asie, ils les élèvent en plein air, sans problèmes, juste avec un petit toit, car ils ont les bonnes conditions naturelles », explique Maïté. « Ici, ça ne marche pas évidemment ! »

Maïté nous voit venir : « Beaucoup de gens se demandent si recréer des conditions climatiques qui ne sont pas les nôtres a bien un sens, mais ici, il y a quand même moyen d’utiliser des sources d’énergie vertes et correcte pour produire. »

Car le projet de Little Food a plusieurs objectifs qui justifient une production à Bruxelles. « Il y a un aspect environnemental mais aussi social. Little Food est un produit local, nous ne voulons pas utiliser de la main d’œuvre à l’étranger et importer un produit sur des milliers de kilomètres. »

 

La bénédiction de l’AFSCA

En produisant ses grillons sur le sol Belge, Maïté et son équipe sont aussi assurés de la qualité et de la provenance de leur produit.

« Nous sommes les seuls producteurs de grillons enregistrés à l’AFSCA en Belgique », souligne Maïté, soulagée mais surtout fière d’avoir répondu aux critères stricts de l’agence. « Grâce à ça, nos grillons se sont même retrouvés au pavillon de l’expo universelle de Milan ! »

En plus d’avoir la bénédiction de l’AFSCA, les grillons sont depuis peu 100% bio ! Soutenant l’économie circulaire, Little Food a commencé par récupérer le pain de la boulangère du quartier. « On allait pas l’obliger à faire du pain bio ! Aujourd’hui, une entreprise spécialisée en alimentation pour animaux a créé une formule particulière à notre demande pour répondre aux besoins du grillon. »

Mais à terme, Little Food souhaite travailler avec des résidus. Lors de notre visite, nous avons croisé Pauline, une stagiaire. Elle s’active toute la journée dans la chaleur et l’humidité à tester différentes alimentations dans le but de savoir quels produits utiliser afin d’arriver au meilleur ratio de conversion.  « C’est vraiment ça qui est le plus important dans la production », souligne Maïté une nouvelle fois.

 

A table!

Après avoir fait le tour du propriétaire, arrive le moment fatidique : la dégustation. Dans la cuisine attenante à l’élevage, la température est plus agréable. Ici, plus aucun bruit de grillon. Désormais certains sont en train de cuire dans un cuit-vapeur et d’autres, grillés, vont bientôt croustiller sous nos dents.

« Vous allez voir, ça a un goût très doux », nous avertit Maïté, en faisant fristouiller quelques grillons frais dans sa poêle avec un peu d’huile de tournesol.   « Pour moi, la palette de saveurs des grillons part du champignon, passe par les céréales, la peau de poulet grillé et va jusqu’au crustacé ». Certains y trouvent un goût de noisettes, mais Maïté n’est pas vraiment de cet avis. 

Little food insectes comestibles Bruxelles - HOTPOPOTE

Avec un grand couteau, elle découpe quelques rondelles de concombres qu’elle ajoute aux grillons placés de jolies petites coupelles. Romane se cache derrière l’objectif de son appareil photo et nous attendons sagement sans trop d’impatience le feu vert pour passer à la dégustation.

Finalement, franchir la barrière psychologique est la partie la plus difficile. Le cerveau est en ébullition face à ces insectes morts que nous venons de voir grouiller en cage mais une fois dans la bouche, l’angoisse retombe bien vite. La texture est agréable, le gout est très doux et une pointe de plaisir fait même son apparition… Le grillon n’est pas juste mangeable en se bouchant le nez et en pensant à la planète pour se donner de la force, non. Le grillon, c’est franchement bon !

 

« Notre objectif n’est pas de faire consommer des grillons quotidiennement »

Maïté en est déjà convaincue mais a les pieds sur terre. « Le but de Little Food, ce n’est pas qu’on mange des insectes quotidiennement. »

D’ailleurs, elle n’en mange pas plus de quatre fois par mois. « L’objectif, c’est qu’on mange des grillons régulièrement. »  Si tout le monde comprend que ce produit est consommable, mangeable et agréable, ce serait déjà une victoire pour Little Food. « Il y a une appréhension très forte. Dans notre culture, les insectes, c’est quelque chose qu’on écrase et qu’on jette ! Les seuls trucs sympa qu’on connaît ce sont la coccinelle et la libellule… C’est mignon mais on n’en mangerait pas ! »

Les grillons frais ne sont pas encore en vente dans les commerces. Pour l’instant, Little Food vend uniquement des grillons séchés. Pour la petite entreprise, c’est la meilleure façon de proposer un produit qui a le moins de risques de varier au niveau du goût. « Quand les gens sont habitués à un produit, s’il y a une petite variation de saveur, ça passe », explique Maïté. Pour l’instant, il est impensable que Little Food prenne le risque qu’un grillon au goût différent vienne verrouiller à jamais les barrières des consommateurs. « Dès qu’on constate un goût inhabituel, on ne prend pas de risques, on met de côté. »

Little food insectes comestibles Bruxelles - HOTPOPOTE

Gare à « l’effet pop corn »

La texture du grillon séché diffère totalement de celle du grillon frais. Je le remarque en toussotant, une ou deux ailes coincées dans la gorge. « Ah, ça, c’est l’effet pop corn ! », explique Maïté avec le sourire. Plus rien ne m’arrête, j’ai eu les yeux plus gros que le ventre. Après avoir pris garde à faire tomber les ailes comme Maïté l’avait recommandé, on remarque que le goût du grillon séché est un peu plus prononcé que le frais, mais reste tout aussi bon… Leur texture se prête simplement à d’autres préparations. J’aurais envie d’en ajouter dans mon assiette à la manière des graines de courges ou de tournesol. Un petit grillon par-ci par-là histoire d’apporter croustillant, saveur et protéines… Mais pas que ! « C’est très riche en protéines, mais aussi en sels minéraux en fer, en fibres, en vitamine B12… la vitamine B12 est assez rare », nous apprend Maïté. 

De son côté, elle propose de les consommer sautés, pour accompagner une soupe de potiron, ou encore sous forme de crème de grillons à tartiner sur des toasts ou dans des pâtes. Maïté a l’air de prendre beaucoup de plaisir à expérimenter des recettes avec ses insectes.

 

La boulette de grillons, cerise sur le gâteau

Maïté a désormais deux nouvelles consommatrices convaincues devant elle, mais elle garde le meilleur pour la fin : ses boulettes aux grillons frais. « Vous verrez, ça a encore un goût différent. Selon la façon de les préparer une de ses saveurs va ressortir. C’est ça que j’aime avec les grillons, suivant la façon de le cuisiner, le goût est chaque fois différent. » 

Little food insectes comestibles Bruxelles - HOTPOPOTE

Elle a raison !  Sa boulette était vraiment, mais alors là vraiment bonne. Une sorte de fallafel avec quelques surprises à l’intérieur. Les grillons sont volontairement broyés très grossièrement afin d’apporter un peu de croustillant. A l’apéritif ou accompagné d’un peu de houmous pour pallier le côté légèrement sec, ça sera parfait.

Malheureusement, il faudra patienter avant de trouver les boulettes de Maïté sur le marché. Mais on se console en pensant au nouveau produit qui sera bientôt lancé sur le marché par Little Food. Nous avons eu le plaisir d’y goûter… Ça a le goût d’un chips bien connu, ça se mange avec autant de plaisir que des cacahuètes autour d’un verre, mais malheureusement, on ne peut pas vous en dire plus pour l’instant!

Romane et moi repartons un peu changées de la production. Les grillons ne doivent pas uniquement être l’affaire de bobos-écolos-intrépides. Les grillons, c’est drôlement bon et on se réjouit à l’idée de les voir envahir nos rayons. Peut-être qu’un jour, les aventuriers de Koh-Lanta trépigneront d’impatience à l’idée d’en déguster? Peut-être que les recettes de grand-mère de nos petits enfants en contiendront? Malgré quelques pattes coincées entre les dents, l’idée nous fait sourire.  

Little Food
www.littlefood.org

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